La Suisse romande et l'histoire de la sexologie

E. J. Haeberle (San Francisco)

(Médecine et Hygiène, Vol. 41, No. 1512, pp. 1234-1241)

 

Comme ceux de la Révolution française, les idéaux de la révolution sexuelle moderne, s'ils ont peut-être gagné quelque réalité pour certaines minorités privilégiées, sont encore fort éloignés pour la plus grande partie du genre humain. Toutefois, des progrès ont pu être accomplis grâce aux travaux de quelques pionniers. Le développement de la sexologie en tant que science est directement lié à la Suisse romande.

 

Aujourd'hui 14 juillet, le peuple français commémore la prise de la Bastille en 1789. C'était le départ de la révolution qui proclamait «la Liberté, l'Egalité et la Fraternité» pour tout le genre humain. Quoique ces idéaux aient été trahis dans le passé par les révolutionnaires eux-mêmes, ils exercent toujours un fascinant appel, et aucune révolution ne sera jamais accomplie nulle part avant qu'ils aient été réalisés partout.

Ceci est vrai également pour la révolution moderne qu'on appelle révolution sexuelle. La liberté sexuelle, l'égalité et la fraternité peuvent avoir gagné quelque réalité pour certains individus privilégiés ou certains groupes dans une partie des pays occidentaux, mais pour la grande majorité du genre humain, ils sont plus éloignés que la démocratie ne l'était sous l'ancien régime. Toutefois, nous devons de la gratitude à ces pionniers qui ont ouvert la voie jusqu'à présent et qui nous ont laissé un héritage des approches révolutionnaires qui, dans l'avenir, pourraient encore réussir, en réduisant la continuité et l'étendue de la misère sexuelle. Une partie importante de cet héritage est le développement de la sexologie en tant que science, et une part de ce développement est directement liée à Genève et à ses environs.

 

Voltaire et Rousseau

Exactement comme la Révolution française elle-même, la « révolution sexuelle » qui l'a suivie a été aussi tracée par les divers penseurs du Siècle des Lumières, dont quelques-uns vécurent en Suisse romande. Il n'est pas nécessaire devant cet auditoire de souligner la contribution de Voltaire et de Rousseau à nos idées modernes et à nos sensibilités. La longue lutte de Voltaire pour la raison contre l'influence de l'Eglise sur la loi, sa satire des puritains bornés, même son attaque contre Rousseau comme un père sans cœur et hypocrite, font de lui le champion de la décence humaine et du bon sens. A Genève, le vrai Sentiment des citoyens (1764) ne devait pas être en plein accord avec l'auteur anonyme Voltaire, mais si tel avait été le cas, cela n'aurait pu qu'être porté à leur crédit.

Rousseau, pour sa part, malgré toutes ses erreurs et son influence négative sur la sexualité dans l'éducation européenne, donna aussi une inspiration première à la révolution que nous célébrons aujourd'hui. Dans tous les cas, son Emile: ou de l'éducation (1762) reste un phénomène historique pour les sexologues, indiquant un renversement fondamental dans les attitudes occidentales vis-à-vis de la sexualité infantile.

 

Tissot (1728-1797)

Lorsque Rousseau plaida en faveur de la sexualité innocente des enfants et demanda sa préservation aussi longtemps que possible, par cela même il donna une nouvelle impulsion au vaste manque de confiance de la civilisation. Paradoxalement toutefois, il existait une conviction croissante que le développement harmonieux des futurs citoyens ne pouvait pas surgir naturellement, mais était obligé d'être protégé par des autorités compétentes - éducateurs professionnels, ecclésiastiques éclairés - et médecins philosophiquement bien préparés. Le développement de la sexualité commença en particulier à apparaître comme un processus hasardeux et problématique demandant une attention constante et un «mode d'emploi» spécial. En effet, on peut dire que le concept de «sexualité» en tant qu'aspect fondamental de la nature et sujet d'étude séparé, datent de cette période. Sans ce concept, les éventuelles découvertes de la sexologie comme une science nouvelle auraient été impossibles. Michel Foucault a décrit la formation de cette idéologie dans son Histoire de la sexualité, I : La volonté de savoir (1976).

Ce n'est pas tant la volonté de savoir que la volonté de contrôler le comportement sexuel humain qui guide le principe de la médecine « sexuelle » à l'Age de Lumière. Dans cet effort qui a continué tout au long de notre siècle, les médecins en général, et les psychiatres nouvellement formés, puisèrent leurs sources à partir d'une seule autorité: le Dr Samuel A. D. Tissot de Lausanne.

D'abord en latin (1758), puis en français (1760), il publia l'un des livres les plus influents de tous les temps: De l'onanisme, ou dissertation sur les maladies produites par la masturbation. Cet ouvrage devint immensément populaire, fut tiré en plusieurs éditions, très vite traduit dans d'autres langues européennes, et détermina les vues de l'Occident sur la masturbation et la santé sexuelle pour environ 150 ans. Tissot, un médecin fort respecté à cette époque, membre de la Société royale de Londres et des Universités scientifiques de Bâle et de Berne, fut considéré universellement comme la plus grande autorité dans ce domaine. Ses assertions n'étaient pas seulement l'Evangile des pédagogues allemands éclairés tels que Oest, Campe et Basedow, mais l'œuvre devint un dogme médical des deux côtés de l'Atlantique. Par exemple, Benjamin Rush, le «père de la psychiatrie américaine», adopta totalement les vues de Tissot, de même que le firent Esquirol en France, et Henry Maudsley en Angleterre 1.

Ce point de vue peut être résumé brièvement comme suit: tous les excès sexuels, et spécialement la masturbation, privent le corps de ses fluides essentiels, échauffent le cerveau et mènent à l'affaiblissement de l'épine dorsale. Les symptômes inévitables de cette dégénérescence progressive conduisent à la diminution de la vue, aux désordres de la digestion, à l'impuissance, à la fatigue, la mélancolie, l'imbécillité, l'insanité et finalement à la mort. Ainsi la masturbation mène-t-elle petit à petit au suicide. Assurément, Tissot se demanda si c'est vraiment plus répréhensible de se tuer au pistolet ou graduellement par la masturbation. Cette dernière forme d'autodes-truction est si criminelle, si méprisable que lui, en tant que médecin ne désire pas traiter les maladies des personnes qui se masturbent, mais il préfère consacrer son temps aux patients dont les maladies sont dues à des «causes honorables» 2.

En fait, les idées de Tissot, et même le titre de son livre, étaient dérivés de toute une série d'ouvrages anglais religieux, et plus tard pseudo-médicaux, dont le plus important a été écrit cinquante ans plus tôt par un certain Dr Bekkers avec pour titre « Onanisme ou le péché odieux de l'autopollution » 3. Toutefois, les théories des pamphlets n'auraient pas rencontré une audience internationale ultérieure sans Tissot. Sa réputation médicale était assez solide pour recueillir l'approbation générale du terme fallacieux d'«onanisme», référence au personnage biblique d'Onan, qui fut tué par Dieu pour avoir «jeté son sperme à terre» (Genèse 38:8-10). Maintenant, une interprétation plus approfondie de la Bible révèle que le péché d'Onan n'était pas la masturbation, mais le coït interrompu, comme moyen d'éviter d'avoir un enfant; il avait dû épouser la veuve de son frère et espérait préserver l'héritage de celle-ci pour lui-même. Son réel méfait était donc la cupidité.

Néanmoins, lorsqu'il fut popularisé par Tissot, le terme erroné fut admis même par Voltaire dans son Dictionnaire philosophique (1764). De plus, Voltaire adopta aussi l'opinion de Tissot, c'est-à-dire que la masturbation était une habitude honteuse et désastreuse, attitude pleinement partagée par Rousseau.

Si ces penseurs critiques furent trompés si aisément par le puritanisme médicalement déguisé par Tissot, l'on peut imaginer son acceptation aveugle et hâtive par ses contemporains moins brillants. Il ne leur vint jamais à l'esprit d'en demander la preuve. Ils se fièrent simplement à Tissot lorsqu'il leur signifia un cas clinique qu'il prétendait avoir lui-même observé à Genève : un étudiant qui s'était adonné à la masturbation ne pouvait pas se passer de ce vice même pendant les leçons, c'est pourquoi il mourut de consomption dans les deux ans qui suivirent. En fait, ce cas était bien peu de chose comparé à ceux rapportés plus tard par les successeurs et imitateurs de Tissot.

Environ un siècle après Tissot, Maudsley découvrit à son tour que la masturbation produisait des «tendances homicides » 4. C'est pourquoi, pour chaque autorité civile responsable, la leçon était claire: les masturbateurs étaient des fous, potentiellement des tueurs, et il était prudent de les enfermer dans un asile.

Il est inutile d'énumérer tous les traitements médicaux de la masturbation : ils variaient d'une constante supervision et des régimes spéciaux et douches froides, jusqu'aux ceintures de chasteté pour les hommes et les femmes, infibulation, brûlures et vésicatoires des organes génitaux, section des nerfs génitaux, clitoridectomie et même la castration - disons seulement que les traitements variaient des interventions les plus bénignes jusqu'aux plus bizarres, dangereuses et sadiques. Ces traitements, et la foi générale en les dangers de la masturbation, empoisonnèrent l'enfance et l'adolescence de nombreuses générations. En effet, ce poison psychologique n'a pas encore entièrement quitté le corps de notre civilisation occidentale.

Une fois les idées de Tissot reconnues comme étant la sagesse de la médecine et de la psychiatrie, son nom fut curieusement vite oublié. Bon nombre de ses successeurs ne connaissaient pas son rôle de pionnier, et ainsi son influence continua en coulisse, d'une manière indirecte. Même ainsi, reconnu ou non, son apport au développement de la sexologie fut énorme. Le mythe de la folie causée par la masturbation contribua essentiellement à la croissance de la psychiatrie. Ce fut également la base d'un nouveau système de maladies. Ce système fut résumé en 1843 par le médecin russe Heinrich Kaan dans Psychopathia sexualis. Le titre de ce livre et la philosophie qui en découlait furent tout de suite adoptés par le public intellectuel, de telle manière que, 40 ans plus tard, Richard von Krafft-Ebing s'en servait à son tour pour les relancer. Krafft-Ebing est maintenant largement reconnu comme un grand précurseur des sexologues du 20e siècle 5.

Naturellement, en ayant pris en considération l'influence de Tissot, on peut se demander comment cela put arriver. Comment était-il possible qu'un simple médecin suisse, en écrivant un seul livre, pût empoisonner des millions de vies? Les anciennes autorités qu'il citait, spécialement Hippocrate et Galien avec leurs enseignements des humeurs corporelles, avaient toujours dit le contraire : c'est-à-dire que la masturbation était en tout cas bonne et thérapeutique. Pourquoi ce renversement draconien au 18e siècle?

En considérant l'éducation de Tissot et sa pratique en Suisse romande, on peut supposer une influence calviniste mais cela n'explique pas l'adhésion toute faite de tous côtés. Jos. van Ussel, dans une étude plus approfondie, blâme la montée de la bourgeoisie avec l'accent mis sur la discipline et la suspicion à l'égard du plaisir sexuel. En même temps, on développa un tabou du toucher, et l'ancienne moralité de honte [shame] fut graduellement remplacée par une moralité de culpabilité [guilt] qui transforma « les vices secrets » en un problème plus profond 6.

Tout ce processus peut être simplement décrit comme une pruderie sexuelle grandissante. Ce n'est guère une coïncidence si les médecins, les éducateurs et les ecclésiastiques qui prônaient l'antimasturbation étaient tous de classe moyenne. Dans leur optique, le corps était avant tout une machine, un instrument de travail qui n'avait qu'à fonctionner le plus efficacement possible et de la manière la plus économique. L'inefficacité, la paresse et le rejet qui avaient été de peu d'importance dans la conception médiévale, se mirent à être considérés comme le vice suprême. L'activité sexuelle était autorisée pour autant qu'elle permette d'engendrer des enfants, augmentant ainsi le potentiel des forces travailleuses. La sexualité pure, sans but de reproduction, était subversive et dangereuse. La masturbation en solitaire était une menace particulière parce qu'elle ne requérait même pas la coopération d'un partenaire. En plus, elle était toujours utilisable chez les hommes et les femmes de tous âges et de toutes couches sociales, leur rappelant que leur corps pouvait aussi être un instrument de plaisir. Une telle pratique était considérée comme frivole et ne pouvait pas être tolérée. Ainsi, les théories pseudo-scientifiques sur les dangers de la masturbation n'étaient rien d'autre que des rationalisations et des excuses pour la répression contre le sexe non reproducteur en général. Cette répression était apparemment aussi liée au début de l'industrialisation de l'Occident et au besoin de discipline et de docilité des travailleurs. Il n'est ainsi pas surprenant que nous voyions la persécution des masturbateurs atteindre son apogée et son intensité maximum dans les temps victoriens. Ceci confirme entièrement la thèse de van Ussel. Ce n'est que vers la fin du 19e siècle que bon nombre de sociétés occidentales furent complètement industrialisées et commencèrent à jouir de leur nouvelle influence et qu'un lent progrès de libéralisation sexuelle commença à se manifester. D'autre part, dans certains pays qui essaient de développer leur industrie, de nos jours, la lutte contre la masturbation continue. Dans la République Populaire de Chine, par exemple, la masturbation sert soi-disant à «affaiblir la volonté révolutionnaire du peuple».

 

Forel (1848-1931)

Heureusement, le rôle de la Suisse romande dans l'histoire de la sexologie ne s'est pas borné au travail de Tissot. En effet, au 19e siècle, le pays de Vaud produisit une autre figure marquante, et cette fois la contribution a été entièrement positive. Auguste Forel est né à la Gracieuse près de Morges, et a trouvé une place de choix et honorifique dans l'histoire de la psychiatrie. Il a été aussi reconnu pour sa recherche sur les fourmis et sur l'anatomie du cerveau, sa lutte contre l'alcoolisme et sur l'éducation populaire et la paix internationale. Pourtant - et ce fait a été peut-être moins apprécié - il fut aussi un pionnier en sexologie.

Son livre, Die sexuelle Frage (1905), fut l'un des premiers à décrire le sujet de façon explicite, sans passion, mais systématiquement et de manière compréhensive, et il fut admis avec succès tant en Europe qu'en Amérique. Il produisit un effet apaisant sur la discussion académique et populaire concernant le comportement sexuel. Si l'on considère la date de publication de cet ouvrage, ses points de vue étaient étonnamment progressistes bien que les commentaires sur la masturbation, par exemple, ne fussent pas entièrement libérés de l'influence pernicieuse de Tissot.

Néanmoins Forel osa déclarer tout net: « Je dois mettre en évidence que les effets de la masturbation modérée chez l'adulte ont été largement exagérés, d'une part en confondant l'effet et la cause, ou pour des objectifs mercenaires en conduisant les personnes timides vers les charlatans et les prostituées» 7.

De toute manière, Forel n'était pas satisfait d'exprimer ses opinions sous forme d'articles. L'année de la publication de son livre rencontra à nouveau un développement social significatif en Allemagne auquel il donna son soutien: Ruth Bré, Helene Stöcker et Max Marcuse, parmi d'autres, fondèrent l'Association pour la protection des mères (Der Bund für Mutterschutz). En plus de Forel, plusieurs éminents sexologues comme Albert Eulenburg, Alfred Blaschko et Albert Moll encouragèrent cette organisation dont les buts furent résumés par un autre supporter, Iwan Bloch.

But: Le but est de protéger les mères célibataires et leurs enfants des dangers économiques et moraux, de dénoncer la condamnation de telles mères et ainsi, de manière indirecte, arriver à réformer ces opinions existantes concernant la morale sexuelle.8

Ainsi, Bloch fut le premier à définir la sexologie comme une science par elle-même, et inventa le nouveau terme de: science sexologique (Sexualwissenschaft).

L'Association pour la protection de la mère devint rapidement un défenseur acharné de la réforme sexuelle. Elle publia un journal influent sous la direction de Max Marcuse qui entretenait des liens étendus avec le mouvement sexologique. Bien des pionniers en matière de sexologie - y compris Sigmund Freud - y contribuèrent par des articles originaux. Max Marcuse lui-même devint éditeur du plus important journal de sexologie, le Journal pour la science sexologique (Zeitschrift für Sexualwissenschaft).

Helene Stöcker prit la tête de l'organisation et la promut rapidement. Toutefois, sa demande de contraception et d'avortement légal était trop en avance sur son temps et éloigna les membres les plus conservateurs des groupes de femmes allemandes. Stöcker réalisa que la réelle réforme requérait une perspective plus large, et ainsi, après la Première Guerre mondiale, elle consacra plus de son énergie aux causes pacifiques. Normalement, elle devait fuir l'Allemagne nazie pour la Suisse. Ironiquement, elle avait, quelques années auparavant, traité la Suisse de «peuple le plus rétrograde de la terre » 9, et maintenant elle avait besoin de la sécurité de Genève pour continuer son travail pour la paix. Seulement, quand son erreur devint flagrante et que la Deuxième Guerre mondiale approcha, elle partit pour Londres et après de longs voyages, pour les Etats-Unis où elle mourut en 1943. L'histoire de cette femme courageuse et ses années passées en Suisse ont été jusqu'ici peu fouillées et attendent encore un biographe.

La paix et la réforme sexuelle restèrent, bien sûr, au premier plan pour Auguste Forel, bien que ne l'ayant pas mené à une position politique radicale. Malgré tout, même pendant les dernières années de sa vie, il chercha à promouvoir les plus importants mouvements de réforme. Après la Première Guerre mondiale, il devait recevoir la visite, dans sa propriété d'Yvorne, du grand sexologue allemand Magnus Hirschfeld, et lorsque celui-ci organisa une Ligue mondiale pour la Réforme sexuelle, Forel en fut très heureux. La nouvelle Ligue tint sa première session en 1928, pour la première fois lors d'un congrès international à Copenhague. Hirschfeld, Havelock Ellis et A uguste Forel furent élus présidents, et une résolution générale concernant dix points importants fut adoptée. Bien que ni Ellis ni Forel ne fussent présents personnellement à ce congrès, ils étaient en accord avec les buts proposés, et il est intéressant de les mentionner ici: Egalité veut dire:

 

1. Droits politiques, économiques et sexuels pour la femme.

2. Libération du mariage (spécialement en cas de divorce) de la tutelle du gouvernement et de la religion.

3.  Contrôle des naissances dans le sens d'une reproduction responsable.

4.  Contrôle eugénique de la progéniture.

5.  Protection des mères et des enfants illégitimes.

6. Evaluation correcte des variantes intersexuelles, spécialement pour les femmes et les hommes homosexuels.

7. Prévention de la prostitution et des maladies vénériennes.

8.  Une vue de la situation qui ne considère pas la déviation sexuelle comme un crime, un péché ou un vice, mais plus ou moins comme une manifestation de la maladie.

9.  Une législation sexuelle qui punisse seulement les interférences avec la liberté sexuelle d'une autre personne, mais ne concerne pas les actes sexuels entre adultes consentants.

10.  Education sexuelle systématique et éclaircissements 10.

 

Ces requêtes étaient largement basées sur les théories de Hirschfeld et ses buts sociaux, et ceux-ci représentaient sa stratégie flexible de réforme. Elles résultaient des compromis prudents entre les tendances radicales et conservatrices du mouvement de réforme. Finalement, la liste entière doit nous paraître inoffensive, bien que quelques-unes des requêtes attendent toujours d'être réalisées, même dans les sociétés les plus libérales. D'autre part, certaines demandes avaient déjà été formulées dans d'autres pays au même moment. Spécialement en Union soviétique apparut un modèle éclatant qui était à suivre par les autres. Mais aussi le Code Napoléon, comme résultat direct de la Révolution française, avait déjà libéré la législation sexuelle de l'influence de la religion et avait pratiquement légalisé tous les comportements entre adultes consentants. C'étaient spécialement les régions protestantes du Nord qui nécessitaient des réformes dans ce domaine. En somme, la Ligue internationale pour la Réforme sexuelle essaya de rester conséquente avec elle-même, mais ce ne fut pas une organisation révolutionnaire. Ses supporters gauchistes et communistes, spécialement le groupe gravitant autour de Wilhelm Reich, se sentirent ainsi frustrés et la décrivirent comme un échec bourgeois ni chair ni poisson 11. En tous cas, l'ascension rapide du nazisme signifia la fin de la Ligue, non seulement en Allemagne, mais aussi dans les autres pays européens.

Au début, par contre, elle semblait promise à de grandes réformes. Elle provoqua une attention favorable, et ainsi fut-elle apte à planifier un autre congrès pour l'année suivante à Londres. Celui-ci rencontra un immense succès grâce à une liste de personnes vraiment éminentes parmi lesquelles Hirschfeld, Helene Stöcker, Ernst Gräfenberg, Norman Haire, Bertrand Russel et Bernard Shaw. Des lettres d'encouragement furent reçues de Thomas Mann, Gerhart Hauptmann, Sigmund Freud, Henri Barbusse, et même d'Albert Einstein.

L'espoir qui illuminait toute l'entreprise à cette époque, son mélange de motivations conservatrices et radicales, et sa naïveté touchante sont peut-être le mieux ressentis dans le message que le vieux Forel envoya au Congrès de Londres 12.

 

Yvorne, le 14.8.1929

 

Dr Hirschfeld,

 

Chers «réformateurs»,

Un vieil homme comme moi ne peut que vous envoyer ses bons messages et ses meilleurs vœux pour le succès de votre Congrès en septembre. Selon moi, l'avenir de la réforme sexuelle repose sur l'eugénisme, une paix internationale et mondiale, et ceci en contradiction avec la cacophonie de la guerre, du capitalisme et l'absorption d'alcool. Ce sont les trois premiers fléaux de la gent humaine. Excusez cette brève et brusque déclaration. Puissiez-vous agir en conséquence. Votre fidèle compagnon d'armes.

 

Dr Auguste Forel

ancien professeur à l'Université de Zurich.

 

Par ces quelques mots venant de Suisse romande, ce grand scientifique et réformateur passa le flambeau à la génération suivante.

 

Guyon (1876-1963)

Un membre important de cette nouvelle génération fut René Charles Guyon, penseur radical injustement oublié de nos jours, qui, l'année du Congrès de Copenhague, commença un volume de 10 tomes sur la philosophie légale traitant de tous les aspects de la question sexuelle. Terminée 20 ans plus tard, en 1947, cette monumentale étude portant le titre collectif d'Etudes d'éthique sexuelle n'a jamais été publié intégralement. Les six premiers volumes parurent en France avant la Deuxième Guerre mondiale mais furent bannis par le gouvernement de Pétain. Seuls deux volumes de l'œuvre furent traduits en anglais. Le reste ne fut jamais imprimé du tout. Ainsi, Guyon ne fut-il jamais reconnu comme il le méritait, comme la voix la plus sonore concernant la réforme sexuelle dans quelque siècle que ce soit.

Cette négligence navrante fut due en grande partie aux circonstances uniques de sa vie qui le mirent au ban du courant de la sexologie européenne et le rendirent pratiquement inaccessible à ses collègues. Pourtant, au cours de l'an dernier, l'Institut Kinsey a, par un heureux hasard, obtenu tout ce qui restait de l'œuvre littéraire de Guyon 13. Comme j'ai été personnellement inclus dans cette acquisition, je suis maintenant apte à vous donner un préavis et parler ici pour la première fois des manuscrits originaux français non publiés de cet auteur. Curieusement, quelques-uns d'entre eux sont d'une importance certaine pour l'histoire de la sexologie en Suisse romande.

Avant de revenir à ces textes spécifiques, il est nécessaire de fournir quelques détails biographiques: Guyon est né en 1876 à Sedan (France); il fit son doctorat à la Faculté de droit de l'Université de Paris en 1902, et sa carrière littéraire débuta comme collaborateur à deux nouvelles et comme auteur d'un livre de poèmes. Il écrivit aussi quelques traités légaux et dans la première décade de notre siècle, il alla à Bangkok comme membre de la Commission pour l'élaboration d'un nouveau code pénal pour le Royaume du Siam et fut enfin chef du Comité de rédaction. Il resta au Siam (qui devint plus tard la Thaïlande), adopta le nom thaï de Pichan Bulayong et devint conseiller législatif du Ministère de la justice, puis enfin juge de la Cour suprême d'appel. Tardivement, il épousa une jeune fille thaï (qui vit probablement encore aujourd'hui) et correspondit avec Alfred C. Kinsey dont il admirait beaucoup les œuvres; il mourut à Bangkok en 1963.

Les 10 volumes de sexologie mentionnés plus haut comprenaient, d'abord, 9 volumes sur des études éthiques portant sur la légitimité des actes sexuels, la liberté sexuelle, les réformes du mariage et de la famille, la politique d'une sexualité rationnelle; il dénonça la persécution des actes sexuels, la «terreur puritaine» et préconisa l'organisation d'une société pro-sexuelle. Comme je l'ai déjà mentionné, les trois derniers volumes ne furent jamais publiés, mais ils sont disponibles actuellement, sous la forme de manuscrits, à l'Institut Kinsey. Le dixième volume est le produit naturel de toute la série. Il porte le titre de Nécessité d'abolir les infractions sexuelles en droit pénal 14. Dans l'impact substantiel et potentiel, ce travail vraiment radical est peut-être caractérisé comme étant l'équivalent moderne de l'œuvre de César Beccaria: Traité des délits et des peines (1764).

Pourtant, ce qui intéresse ici, c'est un double sous-produit de l'œuvre majeure de Guyon: deux études séparées qui ont de l'importance pour quelques-unes des grandes organisations internationales de Genève. La première, un manuscrit non publié écrit probablement dans les années 40, porte le titre révélateur de La Société des Nations aux mains des puritains.

Dans cet ouvrage, Guyon attaque l'impérialisme moral par lequel la Société des Nations essaie d'imposer aux sociétés non occidentales des standards sexuels occidentaux. Voici le nom de quelques titres de chapitres : « La Société des Nations et les problèmes sexuels», «Pression exercée à Genève par les associations antisexuelles», «Interprétations tendancieuses du Pacte et des Conventions par la Société des Nations», «Extension délibérée des activités assignées à la Société des Nations», «Préjudice causé à la Société des Nations par les excès des puritains».

Dans son introduction, Guyon ne perd pas de temps pour arriver au but:

-  La Société des Nations, pendant son règne écourté, s'est occupée avec frénésie des questions sexuelles. Mais...la Société n'a rien compris à la position moderne de la question... Elle a, du coup, porté la propagande anti-sexuelle à la hauteur d'une politique et d'une démonstration internationales 15.

La raison de cette argumentation était le manque d'une vision futuriste de la part de la Société:

-  L'une des plus graves, parmi ses erreurs, est que la Société a eu ses parasites.... Durant cette période troublée qui fut celle de sa naissance, nous verrons les doctrinaires... s'installer à Genève comme en pays conquis et faire de la Société leur proie et leur instrument. Ils ont trouvé en elle la plateforme d'où partirait la grande attaque lancée contre les actes sexuels libres. Ils ont voulu - et ils y ont réussi - que la Société des Nations reprît internationalement le rôle des fameuses «Commissions des bonnes mœurs» de l'impératrice Marie-Thérèse 16.

Le prétexte de cette tyrannie morale était, comme d'habitude, la protection des femmes et la lutte contre la pornographie:

-  Le trait de génie des puritains a été, dès le début du XXe siècle, de transférer la question de la procuration des femmes et celle de la « pornographie » dans des Conventions Internationales (les premières datent de 1904 et de 1910).

La politique des Conventions Internationales a été, par une tactique habile, de mettre en présence les exigences des pays puritains et les politiques des pays tolérants, de façon à introduire chez les derniers les régimes intransigeants et tracassiers des premiers 17.

Comment cela s'accomplit-il? Guyon blâme l'influence indue des soi-disant «associations bénévoles» nationales:

-  On ne saurait méconnaître, dans l'histoire de la Société des Nations, le rôle et les activités de ces associations antisexuelles (dénommées «bénévoles» dans les rapports de la Société...)-- Leur nom peut varier: Ligue contre la «licence des rues » en France, Ligues contre « le Vice » aux Etats-Unis, Associations de Vigilance, Œuvres pour la «protection» des femmes ou des jeunes filles... Leur activité est la même.... Ces associations sont composées de fanatiques arrogants et aveuglément décidés à faire triompher la doctrine du « péché », en se refusant à toute discussion rationnelle ou scientifique sur les principes 18.

Puis Guyon décrit comment, sous l'influence et les pressions de groupes, la Ligue des Nations commença à se mêler de la régulation de la prostitution, des relations sexuelles hors mariage, de l'âge autorisé pour exercer l'acte sexuel, du contrôle des maladies vénériennes, de la surveillance policière du «vice» - imposant toujours un point de vue religieux occidental aux colonies sexuellement plus raisonnables mais non chrétiennes -. Finalement, il exprime son indignation que la Ligue Internationale de la Réforme Sexuelle n'ait jamais été encouragée d'exposer son point de vue à Genève. Bien que ne faisant pas partie personnellement de cette organisation, Guyon, apparemment, la découvrit plus tard et approuva ses buts. En effet, dans ses derniers livres, il en faisait l'éloge à plusieurs reprises et appella même Magnus Hirschfeld par son nom de même que le président de la section française le Dr Pierre Vachet. Comme le résume Guyon, la seule issue de la liberté sexuelle est une affaire de conscience:

-  La liberté de conscience n'existe pas seulement en matière de philosophie, de religion, de politique: elle ne doit pas être moindre dans le domaine de la morale. Car la morale n'est pas davantage que ces autres disciplines une science. Il y a un abîme entre la morale de continence et celle du rationalisme. Se faire le champion de la première... - ce fut, de la part de la Société des Nations, une trahison : la trahison de la neutralité sans laquelle elle n'avait plus de raison d'être 19.

La Société des Nations parvint tout naturellement à une fin non glorieuse, et la Seconde Guerrre mondiale projeta le monde dans la nuit d'une nouvelle barbarie. Pourtant, dans sa faiblesse, un ordre nouveau s'établit au niveau mondial et les anciennes colonies européennes prirent leur indépendance. Ensemble avec leurs anciens maîtres, elles formèrent les Nations Unies et, en 1948, fut publiée une Déclaration universelle sur les droits de l'homme. Le vieux Guyon observa ces développements depuis Bangkok et devait être heureux, parce que la « liberté de conscience » faisait partie de cette Déclaration. Pourtant, il fut dégoûté comme précédemment et manifesta son désappointement dans un pamphlet qui fut imprimé en privé en anglais et appelé « Human Rights and the Denial of Sexual Freedom» (1951) (les droits de l'homme et le déni de la liberté sexuelle). Guyon envoya ce pamphlet aux associations mondiales intéressées, A. C. Kinsey inclus, mais son écho fut mince. Pourtant, depuis lors, cette dernière œuvre de Guyon a acquis la réputation d'une «underground classic». J'aimerais, pour cela, conclure cette conférence en vous donnant quelques détails et, grâce à notre récente acquisition à l'Institut Kinsey, je suis apte à vous faire part encore de quelques passages des manuscrits français originaux non publiés. D'abord, Guyon accueillit favorablement la Déclaration dans son principe:

-  Tous les Asservis sexuels ont eu un espoir quand fut proclamée en 1948, par l'Assemblée des Nations Unies, la «Déclaration Universelle des Droits Humains». Celle-ci impose notamment (art. 18) la liberté de pensée et de conscience. La liberté sexuelle est en germe dans cette déclaration :

mais en germe seulement, car en pratique les pays prohibi-tionnistes ne se croient pas obligés par là à modifier leurs dénis de liberté 20.

En fait Guyon trouve la même trahison dans les Nations Unies que celle qu'il avait déjà déplorée dans la Société des Nations :

-  ... La Déclaration des Droits Humains elle-même a trahi cette liberté de conscience qu'elle prétend proclamer. Car on y trouve un article 29 (2) qui déclare que « dans l'exercice de son droit et dans la jouissance de ses libertés, chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui » - ceci est parfait, mais voici qui ne l'est plus -« et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique. » La Déclaration proclame ainsi sa croyance à une «morale» type, sur laquelle pourront s'appuyer les législateurs pour restreindre la liberté de conscience elle-même précédemment garantie... C'est avec ce recours final à une «morale» tenue pour indiscutable et souveraine que l'on pourra introduire ou maintenir... des lois antisexuelles... 21.

Une critique similaire peut être adressée à une autre action des Nations Unies:

-  On sait que les Nations Unies ont fait grand bruit de l'interdiction, par une Convention Internationale, du génocide, c'est-à-dire de la destruction en masse d'un groupement humain. Or, dans l'énumération des groupements ainsi protégés, sont mentionnés les groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux (art. 2). On remarque de suite que les groupements déterminés par une conception politique ou éthique ne sont pas mentionnés. Résultat: par exemple les communistes peuvent détruire un groupement capitaliste, et inversement les capitalistes peuvent détruire un groupement communiste sans tomber sous la définition... Par exemple encore, à notre point de vue, un groupement d'homosexuels peut être détruit par les sectaires d'un pays hétérosexuel et taboutiste au nom de la «morale» outragée de ce dernier: reproduction, acclamée... par les puritains de la vieille histoire de Sodome détruite par une pluie de feu (ce qui était sans doute la bombe atomique de ce temps-là...) 22.

Dans ce contexte, Guyon demande qu'une étape positive soit franchie et que l'article 18 de la Déclaration des Droits de l'Homme soit amendée de la manière suivante:

« Chacun a le droit de liberté sexuelle et la libre disposition de son corps à cet effet: et nul ne saurait être inquiété, poursuivi ou condamné parce qu'il a volontairement exercé des activités sexuelles, quelles qu'en soient les modalités, sans violence, sans contrainte ou sans fraude. » 23.

Pour être protégé, ce droit humain absolu demande une nouvelle loi:

-  A (la) réforme du droit pénal,... il conviendra d'ajouter... une infraction criminelle nouvelle: celle de l'attentat à la liberté sexuelle destinée à arrêter... les dénonciations, les interventions comminatoires dans la vie privée, les censures de tous ces agents puritains qui, avec un sadisme élaboré, rendent intenable la vie de leur prochain... 24.

Par ces protections légales, Guyon envisage un nouveau monde tolérant dans lequel la sexualité deviendrait une vraie science, un vrai art, une source de paix et de bonheur pour chacun. Pourtant, en vue de créer un tel monde, les Nations Unies doivent adopter un point de vue rationnel et scientifique. Une fois de plus Guyon rappelle les erreurs antérieures de la Société des Nations:

«La Sexualité est un monde. Or ce sont des gens qui n'y connaissent rien qui, jusqu'à présent, se sont arrogé le droit de faire et d'imposer des lois sur ses activités: ils connaissent autant ces dernières que peut connaître l'univers le paysan qui n'est jamais sorti de son village. La démonstration en est tout au long dans la documentation réunie à grands frais et à grand tapage pendant vingt années par la Société des Nations, et où les gens par elle qualifiés d'experts ont été la risée des connaisseurs véritables ». 25.

Il y a maintenent 30 ans que Guyon écrivait ces propos et, autant que nous le sachions, les Nations Unies sont plus éloignées que jamais de ses idéaux. Même les droits de l'homme aussi limités soient-ils et qui avaient été admis, sont journellement violés dans beaucoup de pays du monde. Il va sans dire que les amendements proposés par Guyon ne sont pas plus près d'être adoptés qu'ils ne l'étaient à cette époque. La Déclaration Universelle, comme elle l'est encore actuellement, cite seulement «le droit de se marier et de fonder une famille » et de choisir librement son époux ou épouse (art. 16). On n'y fait toutefois pas mention du droit à l'éducation sexuelle, ou du droit à l'accomplissement de l'acte sexuel, de choisir son partenaire sexuel ou le genre d'activité sexuelle, ni du droit de contraception ou d'avortement. En clair, ce n'est pas un oubli. Il ne fait pas de doute que l'Assemblée des Nations Unies ne rejette d'une façon écrasante toute déclaration officielle qui ose affirmer ces droits. Trop d'Etats membres, parmi lesquels des Etats du Tiers Monde, tolérants auparavant, ont adopté actuellement les attitudes sexuelles négatives de l'Occident. En effet, ils les considèrent très souvent comme progressistes, oublieux qu'ils sont de l'héritage empoisonné du colonialisme.

Guyon qui, au début de notre siècle, était arrivé dans un pays oriental libre et non colonialisé, avait aussi remarqué qu'une attitude sexuelle raisonnable et satisfaisante était possible et efficace. L'effet profond de son expérience pratique sur son excellente intelligence juridique l'amenèrent à une position qu'il n'abandonna jamais. C'était l'inspiration de sa vie. En tant que juriste dans son pays d'adoption, et qu'écrivain international sur la sexologie, il suivit ainsi les préceptes originaux et l'éclairage des plus nobles impulsions de la Révolution française.

On dit que Voltaire écrivit une fois à un opposant: «Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je défendrai jusqu'à la mort votre droit de vous exprimer.» Maintenant, combien de nos contemporains seraient-ils prêts à dire: «Je réprouve vos intérêts sexuels, mais je défendrai jusqu'à la mort votre droit de les poursuivre » ? René Guyon adopta cette position logique à une époque où les grandes organisations essayaient de restaurer l'ancien régime sexuel. C'est pourquoi, je crois qu'on peut légitimement lier son œuvre au 14 juillet, et à sa commémoration de l'espoir révolutionnaire. En effet, Harry Benjamin, le grand sexologue germano-américain, en fit autant lorsqu'il écrivit l'introduction d'une des œuvres publiées de Guyon:

«Il n'est pas déraisonnable de prétendre que dans une société future moins ignorante que ne l'était celle des siècles passés, Guyon se rangera parmi les émancipateurs immortels de la race humaine».26

Ainsi, ses vaillants efforts dans la sphère de la sexologie pourraient finalement revêtir la même importance que ne l'ont eue les idées des penseurs du temps de Voltaire dans le domaine de la liberté politique.

 

 

Bibliographie

1.  Hare E; H.: For the subsequent history of Tissot's ideas, «Mas-turbatory Insanity: The History of an Idea», The Journal of Mental Science 108, 1-25, 1962, and Szasz Th. S., The Manufacture of Mad-ness, New York 1970.

2.   Tissot S.: De l'Onanisme ...(1960), Préface.

3.  Jacobs K.-J. : For the origins of Bekkers'  ideas, Die Entstehung der Onanie-Literatur im 17. und 18. Jahrhundert, Diss. München 1963.

4.  quoted in Hare, p. 7.

5.   Wettley A. and Leibbrand W.: For the development of sexology, Von der « Psychopathia sexualis» zur Sexualwissenschaft, Stuttgart 1959.

6.   van UsselJ. : Sexualunterdrckung, Reinbek B. pp. 146-147, Ham-burg 1970.

7.  Forel A. : The Sexual Question, Brooklyn p. 229, New York 1926.

8.  Bloch I. : The Sexual Life of Our Time, p. 267 New York 1908.

9.  Stöcker H. : Letter of Stöcker to Springer, unpubl. papers in Swarthmore College Peace Collection, Swarthmore, Pennsylvania.

10.  H. Riese und J. H. Leunbach eds. : W.L.S.R. - Bericht des zwei-ten Kongresses, p. 304, Copenhagen and Leipzig 1929.

11.  Leunbach J. H. : « Von der burgerlichen Sexualreform zur revo-lutionâren Sexualpolitik, Zeitschrift fur politische Psychologie und Sexualökonomie, 14-25.

12.  Hirschfeld M. and Krische M.: Die Aufklàrung, eds. p. 268, 1929.

13.  The papers have been donated by Guyon's literary executor and American translater George Russel Weaver.

14.  Some parts of this work were revised, edited and published by Norman Haire in serial form in Haire's Journal of Sex Education.

15.   Guyon K: La Société des Nations aux mains des puritains, unpubl. ms. at the Kinsey Institute, p. 2.

16.  ibid. p. 5-6.

17.   ibid. p. 6.

18.  ibid pp. 18-19

19.  ibid. p. 157

20.   Guyon R.: Les Droits Humains et le déni de liberté sexuelle, unpubl. orig. ms. at the Kinsey Institute, p. 3.

21.  ibid pp. 3-4

22.  ibid. p. 4

23.  ibid. p. 5

24.  ibid. p. 11

25.  ibid. p. 12

26.  Benjamin H.: «Introduction» to René Guyon, The Ethics of Sexual Acts, p. j, New York 1958.

Adresse des auteurs: Institute for Advanced Study of Human Sexuality, San Francisco, CA and A. C. Kinsey, Institute for Sex Research Bloomington, IN.