Le futur de la sexologie en Europe

Erwin J. Haeberle

(Éditorial, Sexologies, Vol. IV, N 15)

 

Récemment, le service des Archives de la Sexologie de l'Institut Robert Koch de Berlin a tenté d'établir un état des lieux de la Sexologie en Europe. Cette étude a produit deux résultats inattendus :

 

1. Il existe un certain nombre de centres de sexologie dans plusieurs pays Européens. Certains dépendent d'agences gouvernementales, d'autres sont des instituts privés. Certains offrent des prestations gratuites, d'autres sont réservés à leurs membres. Certains disposent de quelques supports documentaires sélectionnés, d'autres possèdent une vaste documentation. Bref, le paysage est quelque peu varié. Le fait qu'il existe de telles sources d'informations sexologiques est en soit une bonne surprise. Même si la coordination laisse à désirer, leur existence suffit à démontrer qu'ils répondent aux besoins de plusieurs groupes sociaux. Les professionnels et le public s'intéressent de plus en plus aux problèmes de l'hygiène sexuelle, et en réponse à cet intérêt, de nombreuses initiatives variées ont été ou sont entreprises. A long terme, il serait bon que certains de ces centres de ressources se constituent en réseau afin de se renforcer mutuellement. Par exemple, le regroupement et le chargement de leurs catalogues dans une base de données centralisée permettrait de rendre ces ressources facilement et instantanément accessibles à un plus grand nombre d'utilisateurs au moyen de CR-ROM. Tous les gestionnaires de ces centres savent par expérience que les informations relatives à la sexologie sont régulièrement - trop souvent sans succès - demandées par des étudiants, des professeurs dans diverses disciplines, les journalistes de la presse écrit et des médias électroniques, des agences gouvernementales, des organisations non-gouvernementales, des associations professionnelles et le public. A l'heure actuelle, il est difficile de répondre à cette énorme demande. Donc, tôt ou tard, il sera nécessaire de mieux utiliser les ressources disponibles pour éviter les problèmes de duplication. Notre étude sur les centres de ressources Européens sera prochainement publiée et pourrait consituer la première étape d'un processus de regroupement d'informations tant attendu pour le bien de la santé publique en Europe.

 

2. La création de programmes universitaires et professionnels de formation constitue l'un des développements les plus significatifs de la sexologie. Il s'agit d'un phénomène récent, à l'exception de quelques exemples plus anciens. De plus, de nouveaux programmes sont en cours de création à un rythme accéléré. Dans l'Union Européenne, la France, l'Italie et l'Espagne sont particulièrement actives, alors que les pays germanophones ont pris du retard. La Belgique et la Grande Bretagne se situent au milieu.

Cependant, un tel développement asymétrique ne peut plus être ignoré de par le progrès de l'intégration Européenne. De toute évidence, les diplômes universitaires reconnus délivrés par l'un des Etats Membres seront tôt ou tard reconnus dans les autres Etats Membres. De plus, la libre circulation des personnes et des professionnels au sein de l'UE créera rapidement une situation nécessitant une attention immédiate. Comme le montre notre étude, plusieurs diplômes universitaires et professionnels existent. Certains sont officiellement reconnus par les gouvernements ou les universités, certains sont l'objet de procédures de reconnaissance, et d'autres encore ne sont reconnus que par certaines organisations professionnelles. Le contenu des programmes varient également beaucoup, bien qu'il y ait un consensus général sur certains troncs de connaissance fondamentale. En règle générale, les programmes actuels peuvent être divisés en trois groupes principaux :

-  formation en médecine sexuelle ou en thérapie sexuelle médicale,

-  formation en psychothérapie non-médicale des problèmes sexuelles,

-  formation en éducation sexuelle.

 

Bien qu'il ne s'agisse évidemment pas d'une liste exhaustive des programmes de formation sexologique disponibles (il faudrait également prévoir une formation spéciale pour les chercheurs dans ce domaine), notre étude n'a révélé que les trois types de formations mentionnés ci-dessus.

Il est possible de prévoir, sans risque, qu'au sein de l'U.E.. les programmes existants et futurs devront être être rendus cohérents. A long terme, une certaine forme de normalisation semble inévitable. Un curricu-lum commun devra faire l'objet d'un accord pour faciliter l'acceptation générale de la sexologie comme domaine d'étude légitime. Les progrès de l'informatique accéléreront notablement ce développement. Une fois que certains cours fondamentaux seront disponibles sur CD-ROM, certaines universités pourront tirer avantage de ce nouvel outil d'enseignement et proposer certains segments, plus ou moins importants, de leur cursus à des étudiants à distance, ce qui permettra de réduire notablement le temps que les étudiants passent sur site. Bref, la formation en sexologie deviendra, au moins partiellement, moins coûteuse et accessible à un plus grande nombre. Par la suite, cela élargira le cadre universitaire du domaine de la sexologie. Même les écoles médicales qui n'offrent rien de plus qu'une formation continue en thérapie sexuelle médicale commenceront à voir les mérites d'un programme plus élaboré. Après tout, il existe un énorme marché potentiel pour les cours d'éducation sexuelle et de psychothérapie non-médicale. D'autre part, de tels cursus supplémentaires doivent offrir des cours d'anatomie sexuelle, de physiologie, de MSTs, et autres sujets médicaux. Donc, l'économie produira, d'elle même, de plus en plus d'écoles, de départements ou de programmes intégrés, interdisciplinaires de sexologie.

 

Compte tenu de tout cela, il serait bon d'intensifier la communication entre toutes les parties intéressées. Une stricte séparation entre les sexologies médicales et non-médicales est un luxe que nous ne pouvont plus nous permettre. La première doit, de toute évidence, se situer à un très haut niveau et de ce fait être limitée aux médecins, psychiatres et personnel paramédical. Toutefois, il faut noter que dans la majorité des cas, le comportement sexuel ne relève ni de la pathologie ni de la criminalité. Des études plus appronfondies sont nécessaires et une sexologie non médicale reposant sur une base plus large est essentielle, pour son propre bien et pour compenser une vision médicale trop étroite. En fait, il y a un potentiel d'étudiants "non-médicaux" en sexologie très largement supérieur à celui des étudiants médicaux. La connaissance de la sexologie est de plus en plus utilisée par une grande variété de professionnels : éducateurs, psychologues, juristes, crimilogues, sociologues, assistants sociaux, conseillers en toxicomanie, démographes, épidémiologistes, ethnologues, historiens, journalistes et théologiens, pour n'en citer que quelques uns. Il serait souhaitable que les universités Européennes prennent rapidement conscience de ces faits et en tirent les inévitables conclusions. De toute manière, les processus d'intégration Européenne et les progrès rapides de la technologie informatique rendent obsolète beaucoup d'approches universitaires conventionnelles. Toutefois, pour la sexologie, une science marginale à ce jour, ces développements récents sont avantageux et constituent une base prometteuse pour un consensus et un progrès rapide grâce à un soutien mutuel.

 

Pr Erwin J. Haeberle, Berlin